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Essayer c'est exister

Des grandes entreprises transformant leurs chaînes de production pour fabriquer masques et gel hydroalcoolique en quantité industrielle, au millier d’initiatives solidaires rejointes par des centaines de milliers de personnes, pendant le confinement dont nous nous apprêtons à sortir, ce fut aussi l’entraide qui fut contagieuse. Bénévolat, solidarité, charité. Les réseaux sociaux expliquent comment les élans spontanés ont pu rapidement se transformer en missions organisées. En revanche, qu'est ce qui explique le pourquoi de cette mobilisation collective ? Dans l’ouvrage Homo Deus, publié en 2017, son auteur, l’historien Yuval Noah Harari, cite Wilhelm von Humboldt : il n’y a qu’un seul sommet dans la vie “avoir pris dans sa sensibilité la mesure de tout ce qui est humain”. Une manière d’atteindre ce but est de vivre une partie des expériences humaines par procuration.

C’est en effet ce que nous faisons lorsque nous faisons preuve de bienfaisance. Nous nous confrontons indirectement à une partie de l’expérience humaine à laquelle nous ne sommes pas exposés directement dans notre vie actuelle. Qu’il s’agisse de la souffrance, de la faim, de la peur, de la fragilité, du froid ou de l’incertitude. C’est en cela que les initiatives caritatives, participatives et communautaires proposées par les entreprises à leurs salariées sont intéressantes. Le fait de laisser du temps, ou d’abonder financièrement la participation des employées à une cause ou à une autre, n’est pas the sprinkles on the doughnut, ou le glaçage sur l’éclair, selon les goûts. Il répond à un rôle fondamental pour l’entreprise, à savoir celui de contribuer à l’atteinte du but de l’existence. Ce n’est pas là la mission première d’une société mais c’est une de ses responsabilités en tant que corps social. 

Aider est une manière de faire par soi-même pour l’autre. C’est donc une manière de faire l’expérience de ce que vit l’autre, avec ses difficultés et avec ses avantages. C’est en cela que c’est un enrichissement. Toutefois, cela peut difficilement être un héritage. Il est tentant, lorsque l’on a acquis un savoir ou développé une compétence en lien avec une situation, de vouloir le ou la transmettre. C’est vrai dans la relation manager-employé. C’est vrai aussi dans la relation parent-enfant. “Crois-en mon expérience”. “Je sais ce qu’il faut faire dans cette situation”. Nous pourrions imaginer que cela ferait gagner du temps à tout le monde si nous pouvions nous approprier l’expérience des autres par simple capillarité. Or nous ne le pouvons pas. Nous avons besoin de ressentir une situation, donc de la vivre, pour pouvoir faire le lien avec un enseignement qui nous aura été transmis, ou pour pouvoir voir la pertinence d’un conseil qui nous aura été donné. L’inverse est vrai aussi.

Un conseil, pour être pertinent, doit venir d’une personne ayant fait l’expérience de l’émotion attachée à la situation dans laquelle nous nous trouvons. C’est bien pour cela que l’impact des avis externes est souvent ambivalent. Bien sûr je peux avoir perdu mon emploi et avoir l’expérience des émotions que j’ai ressenti et des réactions qui furent les miennes à ce moment-là, dans la situation économique et familiale qui était la mienne à ce moment-là. En revanche, je ne peux pas ressentir ce que cela représente pour quelqu’un qui est dans une configuration personnelle radicalement différente ou pour qui la perte d’un emploi est associée à une représentation psychologique qui n’a rien à voir avec la mienne. Les conseils peuvent bien évidemment être un réconfort mais ils ne sont applicables que dans des situations où les mécanismes émotionnels et psychologiques sont proches. 

L’expérience est donc unique, individuelle. Les enfants le ressentent tout à fait intuitivement lorsqu’ils disent “Laisse-moi faire”. Ce refus de l’expérience de l’autre est une revendication du droit à sa propre expérience. A l’adolescence le “Laisse-moi faire” devient un “Laisse-moi vivre”. Il y a dans cette demande une vérité profonde. Le droit à l’expérience est un droit à l’existence. C’est pourquoi laisser la place à l’expérimentation en entreprise est aussi important. Se la laisser en tant que dirigeante, et la laisser à ses salariées. Cela permet de remettre le travail dans une logique organique, et dans une dynamique de jeu. Et donc de vie. Et vous, quel sera votre prochain essai ?



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